Interview 1 hebdo

Dokreis#6

« Marie Lafaille explore les strates de la mémoire des lieux et les modalités de la rencontre du corps avec la minéralité, les reliefs et la chair des paysages. Elle prête attention à la façon dont l’humain sculpte le monde et elle donne une substance aux existences et espaces disparus, proches ou lointains, en abordant le verre avec émotion et sensibilité. »

Catherine Divet pour la Biennale Présence du verre dans l'art contemporain

« Avant la standardisation, les formes de mesure variaient considérablement d’un endroit à l’autre, conservant une équivalence et une pertinence propres aux coutumes, traditions et métiers locaux. Le système métrique, introduit à la fin du XVIIIe siècle, visait à rationaliser les mesures par l’application de principes et de raisonnements scientifiques. En attribuant un étalon issu du monde naturel et applicable universellement, son but était la cohérence, la précision et l’objectivité.

Le point de départ de la pratique artistique de Marie Lafaille est la marche, l’arpentage d’un territoire par l’acte du mouvement physique et de la perception sensorielle. Elle observe le sol et la végétation, le relief et la vie animale. Elle marche à la recherche de traces, recueillant des preuves de mouvements, d’événements géologiques et d’aléas climatiques, d’utilisation et de modification du sol – les nombreuses façons dont le passage du temps s’inscrit dans un paysage.

Ainsi, son corps devient un outil et une mesure, une forme de documentation qui tire sa pertinence de son emplacement et de sa mise en œuvre spécifiques. Tout à fait imprécis et subjectif.

C’est l’empreinte de l’histoire, une superposition de couches, de traces, de récits et de temps, à laquelle l’artiste s’intéresse avec une curiosité et une attention archéologiques. C’est un travail de patience et de persévérance. À partir de ses observations et de ses collectes, elle sculpte minutieusement sur la pierre des motifs avec des outils de bijoutier, crée des galets de verres qui font surgir les noms de villages perdus, transforme la laine de mouton en fil de crochet.

Lors de sa résidence de 2023 au Centre International d’Art et du Paysage, Marie Lafaille a étudié les paysages naturels et modifiés de Vassivière. Elle a parcouru les rives ondulantes du lac et les forêts environnantes, suivant des sentiers à travers des bois denses et des flancs de collines coupés à blanc. Ici, elle a photographié les traces de pas des machines lourdes imprimées sur le sol. Elle a collecté des pierres de granit fendues en deux par la force et le poids des excavateurs, des abatteuses et des moissonneuses. Dans Coupes rases (2023), l’artiste a gravé les surfaces nouvellement exposées de ces pierres avec un motif de bande de roulement, rappelant la source de leur violente transformation.

Ce travail minutieux qui consiste à graver dans la pierre les traces d’un équipement lourd dément la force et la rapidité avec lesquelles les forêts sont exploitées dans les pratiques industrielles. La main ferme et précise de Marie Lafaille s’oppose à la machinerie brute et irréfléchie elle-même ainsi qu’aux motivations de l’extraction des ressources, par lesquelles les roches brisées et le sol perturbé sont les sous-produits involontaires d’un système qui valorise les forêts avant tout pour leur potentiel économique.

La prédominance de la rentabilité dans les questions relatives à notre relation à l’environnement est peut-être la conclusion logique de siècles de pensée rationaliste, dont le système métrique n’est que l’un des résultats. Le travail de Marie Lafaille offre cependant une forme de résistance tranquille et déterminée. Une contre-proposition à la fois mesurée et incommensurable.»

Alexandra McIntosh (directrice du Ciap de Vassivière, écrit sur le travail de Marie Lafaille), Septembre 2023.

Duvet et Coupes rases _ Restitution de résidence au Ciap de Vassivière _ 2023